Amendement Charasse : pas de condition d’affectation des fonds apportés lors d’une augmentation de capital concomitante à l’acquisition des titres de la cible
Le dispositif dit « amendement Charasse », prévu à l’article 223 B, alinéa 6 du Code général des impôts, encadre la déductibilité des charges financières supportées par un groupe intégré lorsqu’une société du groupe acquiert, directement ou indirectement, les titres d’une autre société auprès d’un actionnaire ou d’une société que celui-ci contrôle. Le mécanisme vise à neutraliser la déduction des intérêts d’emprunt liés à des opérations d’acquisition intragroupes pouvant aboutir à une double déduction des charges.
Le calcul de la réintégration s’opère au moyen d’un ratio qui compare le montant des charges financières déduites à un coefficient fondé sur la proportion que représente la dette liée à l’acquisition par rapport à la dette moyenne du groupe. Le numérateur du ratio correspond au prix d’acquisition des titres, susceptible d’être réduit, notamment, du montant des fonds apportés à la société cessionnaire lors d’une augmentation de capital concomitante à l’acquisition. Cette réduction du numérateur constitue un enjeu important pour les groupes, car elle permet d’atténuer la fraction de charges financières réintégrée dans le résultat d’ensemble.
L’article 223 B, alinéa 6 prévoit que le prix d’acquisition est diminué du montant des fonds apportés à la société cessionnaire à l’occasion d’une augmentation de capital réalisée simultanément à l’acquisition des titres, à condition que ces fonds proviennent soit d’une personne extérieure au groupe, soit, lorsqu’ils sont apportés par une société membre, qu’ils ne soient pas financés par un crédit consenti par une personne non membre du groupe. La doctrine administrative (BOI-IS-GPE-20-20-80-20, § 140) admet qu’une opération est regardée comme concomitante lorsqu’elle intervient dans un délai d’environ trois mois avant ou après la date de l’acquisition.
Jusqu’à récemment, la question demeurait discutée de savoir si les fonds issus d’une telle augmentation de capital devaient nécessairement être affectés au financement de l’acquisition pour être imputables sur le prix d’acquisition. La Cour administrative d’appel de Paris, dans un arrêt du 17 janvier 2025 (n° 23PA05010), avait jugé que l’imputation ne pouvait être admise qu’à hauteur des sommes effectivement destinées au financement de l’opération, introduisant ainsi une condition d’affectation des fonds.
Le Conseil d’État, par une décision du 28 octobre 2025 (n° 502486), a écarté cette interprétation restrictive. Il a jugé que les dispositions de l’article 223 B, alinéa 6 ne subordonnent pas la réduction du prix d’acquisition à la condition que les fonds aient été spécifiquement affectés au financement de l’acquisition. Il suffit que l’augmentation de capital ait été réalisée concomitamment, sans qu’il soit nécessaire d’en démontrer l’usage précis. Cette solution clarifie la portée du texte et sécurise la pratique, en recentrant l’analyse sur la chronologie et la provenance des fonds, et non sur leur destination comptable.
Sur le plan opérationnel, cette décision offre une lecture plus souple du mécanisme et permet de mieux valoriser les opérations de renforcement de fonds propres conduites simultanément à une acquisition intragroupe. Elle n’exonère toutefois pas les sociétés de justifier de la réalité et de la concomitance de l’apport, ni du respect des conditions de qualité du souscripteur et de la provenance des fonds. La documentation des flux, la chronologie des opérations et la conservation des justificatifs demeurent essentielles pour sécuriser le bénéfice de l’imputation en cas de contrôle.
En définitive, la décision du Conseil d’État du 28 octobre 2025 apporte une clarification bienvenue : l’imputation sur le prix d’acquisition du montant d’une augmentation de capital concomitante ne dépend plus de l’affectation des fonds mais uniquement de leur simultanéité et de leur origine conforme au texte. Ce faisant, elle simplifie la lecture du dispositif « amendement Charasse » et en améliore la prévisibilité pour les groupes soumis à l’intégration fiscale.


